Alignements d’arbres (L. 350-3 Code Env.) : l’efficacité du référé suspension devant le juge administratif

Depuis la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, les « allées d’arbres et alignements d’arbres qui bordent les voies de communication » bénéficient d’une protection spécifique, sur tout le territoire national.

Le nouvel article L. 350-3 du Code de l’environnement dispose en effet :

« Les allées d’arbres et alignements d’arbres qui bordent les voies de communication constituent un patrimoine culturel et une source d’aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l’objet d’une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques.

Le fait d’abattre, de porter atteinte à l’arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres est interdit, sauf lorsqu’il est démontré que l’état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens ou un danger sanitaire pour les autres arbres ou bien lorsque l’esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d’autres mesures.

Des dérogations peuvent être accordées par l’autorité administrative compétente pour les besoins de projets de construction.

Le fait d’abattre ou de porter atteinte à l’arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres donne lieu, y compris en cas d’autorisation ou de dérogation, à des mesures compensatoires locales, comprenant un volet en nature (plantations) et un volet financier destiné à assurer l’entretien ultérieur. »

Cette protection était déjà appelée de ses vœux par le Président Pompidou dans sa lettre au Premier Ministre, du 17 juillet 1970.  Elle a été consacrée, sous l’impulsion de la Convention européenne du paysage, et particulièrement à la suite d’un rapport présenté à la Conférence du Conseil de l’Europe les 30 et 31 mars 2009 (cf. C. Pradines, Infrastructures routières : les allées d’arbres dans le paysage, Conseil de l’Europe, 2009, 66 p.).

Se pose toutefois la question de l’effectivité d’une telle protection, dès lors que l’interdiction d’abattage énoncée à l’article L. 350-3 du Code de l’environnement n’est assortie d’aucune sanction expresse.

Des décisions récentes donnent au juge des référés des juridictions administratives un rôle de premier ordre, lorsque l’abattage a été décidé ou autorisé par une décision administrative. En effet, l’article L. 521-1 du Code de justice administrative lui confère le pouvoir de suspendre les effets d’une telle décision et de préserver, au moins temporairement, les alignements d’arbres.

A titre d’exemple, dans une ordonnance de référé du 27 novembre 2017, le Tribunal administratif de Toulouse a accepté de suspendre les effets d’un arrêté autorisant l’abattage d’une vingtaine d’arbres centenaires. Cette décision éclaire sur la caractérisation de la condition d’urgence, requise par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative.

Dans cette ordonnance le juge des référés opère un arbitrage entre l’urgence à suspendre l’abattage, dont les effets seraient nécessairement irréversibles, et l’urgence à abattre les arbres dangereux. Ici le danger ne portant que sur 3 arbres, il y a bien urgence à suspendre l’arrêté qui autorise l’abattage de 21 sujets. De surcroît, le juge des référés considère que la charge financière qui résulterait pour la commune du retard pris dans les travaux, ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une urgence à suspendre l’abattage.

Cf. Tribunal administratif de Toulouse, 27 novembre 2017, n°1705096 :

« Considérant que les travaux d’abattage de 21 arbres autorisés par l’arrêté contesté présentent un caractère imminent et qu’un tel abattage présenterait un caractère irréversible ; qu’il ressort de l’inventaire diagnostic visuel et sonore réalisé par l’ONF en juin 2016 que si nombre des 39 arbres du boulevard Y. présentent un état mécanique et sanitaire préoccupant, seuls 3 arbres (robiniers faux acacia) ont été jugés potentiellement dangereux pour les biens et personnes ; que ces constatations ne sont pas remises en cause par le rapport de prospection des cavités des arbres d’alignement réalisé à la demande de la commune X. en novembre 2017, postérieurement à la décision contestée, mettant en évidence l’état sanitaire dégradé de certains arbres ; que la demande d’autorisation de la commune X. du 29 septembre 2017 indiquait d’ailleurs bien que seuls 3 arbres étaient préconisés à abattre ; que, par suite, la communauté de communes C. ne saurait se prévaloir de l’urgence s’attachant pour des motifs de sécurité à l’abattage rapide de 21 arbres ; que la circonstance également invoquée en défense selon laquelle la commune X. subira une charge financière liée au retard dans la réalisation des travaux et la circonstance que le projet a pour objectif de renforcer l’attractivité économique et touristique de cette commune ne caractérisent pas un risque d’atteinte grave à un intérêt général ou à la situation de cette collectivité alors d’ailleurs que les dispositions de l’article L.521-1 du code de justice administrative prévoient que le tribunal administratif statue dans les meilleurs délais sur la demande d’annulation d’une décision dont la suspension a été ordonnée par le juge des référés ; que compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie ; »

Toujours sur la caractérisation de la condition d’urgence, une autre ordonnance de référé, qui suspend l’abattage de 30 arbres d’alignement sur le tracé d’une future autoroute, admet l’existence d’une présomption d’urgence attachée à l’article L. 350-3 du Code de l’environnement.

Cf. Tribunal administratif de Strasbourg, 20 septembre 2018, n°1805601 :

« Le législateur a regardé, avec l’article L. 350-3 du code de l’environnement, un tel alignement d’arbres, quels qu’en soient les essences et le nombre, comme ayant un « rôle pour la préservation de la biodiversité » et constituant « un patrimoine culturel et une source d’aménités », justifiant une protection spécifique. Lorsque, par dérogation à ce principe de protection, l’abattage d’arbres est autorisé par l’autorité administrative compétente pour les besoins de projets de construction, la condition d’urgence à laquelle est subordonné l’octroi d’une mesure de suspension doit être regardée, en principe, eu égard à la nature et aux effets irréversibles de cette décision, comme remplie. »

Enfin, une autre décision sera signalée, qui explicite la portée de la protection résultant de l’article L. 350-3 du Code de l’environnement.

Il s’agit d’une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans du 24 avril 2018. Cette décision interprète strictement la notion de danger autorisant à déroger à l’interdiction d’abattage. Et surtout, elle retient l’opposabilité de L. 350-3 du Code de l’environnement à l’encontre d’une décision relevant du Code de l’urbanisme, malgré le principe classique d’indépendance des législations.

Cf. Tribunal administratif d’Orléans, 24 avril 2018, n°1801135 :

« 12.  En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que seule une partie des arbres des quais X et Y, pour ces derniers déjà abattus, présentait un état sanitaire nécessitant leur abattage. Pour les autres, leur longévité, certes pour certains relative, est notamment liée aux conditions de réalisation des travaux. Mais il n’apparaît pas que leur état sanitaire ou mécanique présente un danger au sens de l’article L. 530-3 précité. Par ailleurs, en l’état de l’instruction, il n’apparaît pas plus qu’en cas d’abattage partiel, l’esthétique de la composition ne puisse plus être assurée soit par replantation d’autres essences, soit même par replantation de platanes ce que ne semble pas interdire pour la zone l’arrêté préfectoral du 25 novembre 2016 relatif à la lutte contre le capricorne asiatique et sa carte annexée, quoique peu lisible. Enfin, les défendeurs n’argumentent pas que les arbres présenteraient de tels inconvénients pour la construction, que leur abattage justifierait la dérogation prévue par l’article L. 530-3, même si le diagnostic sanitaire des arbres produit note lui que « la problématique des racines de surface représente une véritable contrainte pour tous travaux du sol ».

13. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 530-3 du code de l’environnement est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du 3 mars 2017 par lequel le maire de la commune Z. ne s’est pas opposé à la déclaration préalable du président de la communauté des communes C. concernant l’abattage des arbres des quais X. et Y.. Par suite, il y a lieu d’ordonner la suspension de son exécution. »

 (NB : dans ces deux paragraphes l’ordonnance indique par erreur « article L. 530-3 » au lieu de « article L. 350-3 » du Code de l’environnement).

Cette décision été confirmée par le Conseil d’État (Cf. Conseil d’État 18 juillet 2018, n°420547).

Les solutions ainsi dégagées illustrent que le référé suspension est une voie procédurale efficace pour empêcher les abattages précipités d’arbres d’alignement.

Mais, il convient d’attendre les décisions de fond pour apprécier si l’article L. 350-3 du Code de l’environnement permettra effectivement, sur le long terme, de préserver les alignements d’arbres.

A ce propos, les justiciables soucieux de ces ensembles paysagers se souviendront que, étant une « colonne vertébrale pour la biodiversité » (C. Pradines, op. cit.), les alignements d’arbres sont susceptibles d’abriter ou d’être utilisés par des espèces animales à très forte valeur patrimoniale (notamment des espèces protégées d’oiseaux et de chiroptères).

Les alignements d’arbres pourraient ainsi bénéficier d’un autre régime de protection (assorti, lui, de sanctions pénales), énoncé à l’article L. 411-1 du Code de l’environnement.

Article L. 411-1 du Code de l’environnement :

« I. – Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits :

1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;

2° La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;

La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ;(…) »

A condition toutefois d’avoir démontré, préalablement, que les alignements d’arbres à protéger servent d’habitats à des espèces protégées règlementairement. Là encore, mais en amont du litige, le juge des référés pourrait bien jouer un rôle clef…